Du 29 août au 3 septembre 1914
Mercure de France 1er août 1916
Dans les remous de la bataille
2ème partie
(du samedi 29 août au jeudi 3 septembre)
Samedi 29 août.
Je ne sais si, cette nuit, le canon s'est arrêter de tonner. Je me suis endormie dans le grondement, et l'aube m'a réveillée dans un crescendo de l'orchestre. Ah! la puissante musique, et combien, au prix d'elle, apparaît mesquin le souvenir des concerts donnés avec les instruments de convention! Voilà bien la maîtresse symphonie, dont vibrent éperdument les ondes aériennes! Le roulement trépidant des batteries sur le macadam de la route, le ferraillement des fourgons, le cliquetis des armes, le pas des chevaux et celui des hommes sont les accompagnements du grandiose leitmotiv. Les yeux se ferment, l'oreille se dilate, le coeur bat, la respiration s'arrête, la sueur perle, mille visions se dressent. Par instant, une détonation gigantesque, l'explosion d'une mine: c'est cent milliards d'éclairs et de tonnerres qui se déchaînent ensemble et ébranlent la terre. Et ce n'est point de terreur que je suis émue en ce moment. Je subis un envoûtement; l'enthousiasme circule avec mon sang, qui charrie l'intrépidité des sauvages ancêtres aimant la bataille ou allant au supplice en chantant. mais cela n'est qu'une illumination. Je me reprends vite à réfléchir que le temps presse, que je n'ai point le loisir de m'abandonner à ce charme insolite.
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